Le droit des femmes sera-t-il la grande cause nationale du quinquennat comme l'avait énoncé le Président de la République pendant sa campagne ? Le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes s’inquiète aujourd'hui de l’impact potentiellement défavorable de certaines dispositions sur l’emploi des femmes et les droits qui les protègent. Cet article fait le point sur les conséquences juridiques que pourraient avoir les ordonnances travail sur les outils de l’égalité professionnelle en entreprise.
Nous approuvons le récent changement intervenu dans la version finale des ordonnances, figurant à l’article L1235-3-1 fixant le barème des indemnités prud’homales en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ce barème est écarté dans certaines situations comme la violation d’une liberté fondamentale. Toutes les libertés fondamentales (telles qu'énoncées à l'article L1132-1 du code du travail) sont heureusement visées puisque la dernière version des ordonnances rajoute que le barème est écarté en cas de licenciement discriminatoire dans les conditions prévues à l’article L1132-4.
Dans une tribune récemment publiée sur les réseaux sociaux (Loi travail: les droits des femmes passent (aussi) à la trappe), diverses personnalités et organisations féministes ont pointé un risque inquiétant d'affaiblissement des outils relatifs à l’égalité professionnelle alors que «les salariés les plus touchés sont ceux en CDD ou travaillant dans des petites entreprises. Deux catégories où les femmes sont surreprésentées».
Des obligations de négociation sur l’égalité allégées
Avant la publication des ordonnances, la négociation sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes devait être annuelle. Désormais, la tenue de négociations sera beaucoup plus rare puisque l’article L2242-1 du Code du travail prévoit que dans les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d'organisations représentatives, l'employeur engage au moins une fois tous les quatre ans une négociation sur la rémunération, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée dans l'entreprise et une négociation sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, portant notamment sur les mesures visant à supprimer les écarts de rémunération, et la qualité de vie au travail.
L’article L2242-12 modifié prévoit désormais qu’un accord d’entreprise peut fixer la périodicité de sa renégociation, dans la limite de quatre ans.
A défaut d’accord, la plupart des dispositions régissant actuellement les négociations annuelles et triennales obligatoires continuent à s’appliquer.
De plus, ces règles relatives aux négociations obligatoires sur l’égalité professionnelle ne font maintenant plus partie que des « dispositions supplétives » (C. trav., art. L2242-17), ce qui risque de faire passer le sujet au second plan.
Des accords d’entreprise qui pourront directement impacter la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle
Les ordonnances permettent une remise en cause des droits familiaux au niveau des entreprises, droits dont bénéficient le plus souvent les femmes.
Même si l’égalité professionnelle fait partie des thématiques pour lesquelles un accord d’entreprise ne peut être moins favorable qu’un accord de branche, il en est autrement des thématiques relatives aux droits familiaux et aux congés exceptionnels qui pourront être remises en cause par accord d’entreprise. Par exemple, une entreprise dont la branche prévoit un maintien intégral de la rémunération pendant le congé maternité et un allongement du congé maternité pourra revenir sur ces avantages voire le supprimer.
Par ailleurs, un nouveau type d’accord unifié pour la préservation de l’emploi (C. trav., art. L2254-2) permettant de « répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l'entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l'emploi » pourra aménager la durée du travail, ses modalités d'organisation et de répartition, aménager la rémunération, déterminer les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l'entreprise. Cet accord devra primer sur le contrat de travail du salarié. Cette flexibilité du travail facilitée pourrait aggraver les inégalités et s’avérer plus préjudiciable pour les femmes, souvent plus précaires et pour qui l’articulation des temps de vie est la première barrière concernant l’évolution des carrières.
Des obligations de transmission des données sur l’égalité assouplies
La base de données économique et sociale (BDES) rassemble des informations relatives aux grandes orientations économiques et sociales de l'entreprise (anciennes données du Rapport de Situation Comparé). Parmi ces informations, doivent figurer les données sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes au sein de l’entreprise.
Alors que ces informations devaient auparavant obligatoirement être transmises, les ordonnances travail offrent la possibilité aux entreprises de choisir, par le biais d’un accord d'entreprise, de modifier les données à transmettre et de choisir de les transmettre ou non (C. trav., art. L2312-21).
Une baisse des moyens pour prévenir les violences sexuelles au travail
En vue de la fusion des instances de représentation du personnel et de la création du nouveau Comité Social et Economique (CSE), le Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), auparavant obligatoire dans les établissements d’au moins 50 salariés, est amené à disparaître. Or, cette instance permettait d’assurer la promotion de la prévention des risques professionnels et de proposer des actions de prévention du harcèlement moral et sexuel.
Une nouvelle commission viendra remplacer très partiellement le CHSCT. Il s’agit de la commission santé, sécurité et des conditions de travail qui sera mise en place dans les entreprises ou établissements distincts d’au moins 300 salariés ou entreprises avec activités à risque sur demande de l’inspection du travail (L2315-36 du Code du travail). La prévention des violences dans les entreprises de 50 à 300 salariés sera donc rendue plus difficile, ce que rappellent les signataires de la tribune : « 20% des femmes déclarent avoir déjà subi du harcèlement sexuel sur leur lieu de travail. 5 ans après l'amélioration de la loi sur le harcèlement sexuel, le gouvernement décide de faire disparaitre l'instance dédiée à la santé et la sécurité au travail ».
Par ailleurs, dans les entreprises d’au moins 300 salariés, le Comité Social et Economique pourra décider de recourir à un expert technique de son choix en vue de préparer la négociation sur l’égalité professionnelle. Cette expertise, auparavant intégralement financée par l’employeur, devra désormais être cofinancée entre l'employeur et le comité social et économique. Il faudra donc veiller à ce que l’égalité professionnelle reste un sujet d’actualité dans les entreprises et ne passe pas à la trappe.
Ondine Lépineux
Référente égalité femmes-hommes
Rappel sur l’obligation de se former à la non-discrimination Depuis le 29 janvier 2017, les entreprises spécialisées dans le recrutement et les entreprises de plus de 300 salariés sont désormais obligée de former à la non-discrimination à l’embauche leurs salariés chargés des missions de recrutement au moins une fois tous les cinq ans. Nouvel article L1131-2 du code du travail issu de la loi n°2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté (art. 214) A ce titre, Coorace proposera, à partir du mois de janvier 2018, des formations qui vous permettront de remplir cette nouvelle obligation et vous aider à mettre en place des actions en faveur de l’égalité :
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Sources :
Ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective
Le Club de Mediapart (@MediapartLeClub), 6 sept. 2017